2003/08/13

La Salamandre de Descartes

Dans La Rôtisserie de la Reine Pédauque (1893), Anatole France dépeint un philosophe parmi ses personnages. Une caricature : le philosophe "pelleteux de nuage". Mais en même temps qu'il est un peu "philyer" comme on dit, il est aussi très curieux. Il veut tout connaître de l'univers. Il recherche la pierre philosophale et il est tout à fait critique par rapport à tout ce qui concerne la religion. Misogyne en plus. Il craint et les fuit parce qu'elles sont dangeureuses pour l'homme de science. Mais il poursuit et chasse les Salamandres, ces espèces de nymphes éthérées, belles à mourir, qui ne peuvent être vues que par les philosophes.

Il donne comme preuve de l'existence de ces elfes magiques le récit suivant que je vous cite parce qu'il concerne un de nos amis, René Descartes. Je me suis souvent demandé quelle sorte de vie amoureuse Descartes avait bien pu avoir. Dans ce roman du gagnant du prix Nobel de la littérature en 1921, le cas Descartes est utilisé par le philosophe pour prouver l'existence des fameuses Salamandres. J'ai trouvé cela assez rigolo:

"[...] Les Salamandres sont telles qu'auprès d'elles la plus jolie personne de la cour ou de la ville n'est qu'une répugnante guenon. Elles se donnent volontiers aux philosophes. Vous avez sans doute ouï parler de cette merveille dont monsieur Descartes était accompagné dans ses voyages. Les uns disaient que c'était une fille naturelle, qu'il menait partout avec lui; les autres pensaient que c'était un automate qu'il avait fabriqué avec un art inimitable. En réalité c'était une Salamandre que cet habile homme avait prise pour sa bonne amie. Il ne s'en séparait jamais. Pendant une traversée qu'il fit dans les mers de Hollande, il la prit à bord, renfermée dans une boîte faite d'un bois précieux et garnie de satin à l'intérieur. La forme de cette boîte et les précautions avec lesquelles monsieur Descartes la gardait attirèrent l'attention du capitaine qui, pendant le sommeil du philosophe, souleva le couvercle et découvrit la Salamandre. Cet homme ignonrant et grossier s'imagina qu'une si merveilleuse créature était l'oeuvre du diable. D'épouvante, il la jeta à la mer. Mais vous pensez bien que cette belle personne ne s'y noya pas, et qu'il lui fut aisé de rejoindre son bon ami monsieur Descartes. Elle lui demeura fidèle tant qu'il vécut et quitta cette terre à sa mort pour n'y plus revenir."

A noter, que la fidélité de la Salamandre pour son philosophe ressemble à ce que les hindous pensaient du mariage: l'épouse quitte la vie en même temps que son époux, si jamais celui-ci lève les pieds avant sa compagne. Ma Salamandre à moi ne partage pas du tout ce point de vue, en tous cas pas au point de se jetter sur le bucher funéraire quand viendra le temps du grand voyage nirvanique.

En attendant on se prépare à notre dernière rencontre avec Robert Bérubé pour regarder de plus près la partie sud-est asiatique de notre périple en lisant les choses très sérieuses qu'Anatole France nous livre sur la vie et les amours des philosophes.

Quelqu'un a-t-il déjà entendu parler de ce type de Salamendre?

Montréal

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