2004/05/19

Que faire des Khmers Rouges

Je me le demande encore. Comment en parler ici? Depuis qu'il est clair que les massacres ont bel et bien ete perpetres, les Khmers Rouges sont un probleme pour moi. Un probleme de conscience. Plus que pour le commun des mortels, parce que je les ai soutenus, j'ai fait campagne pour leur venir en aide quand le Vietnam a envahi le Kampuchea. Pendant quelques annees j'ai cru que toutes les atrocites qu'on leur pretait etaient grandement exagerees, le fruit de la propagande nixoniaine, un coup monte de la CIA, que de toutes facons, les bombes americaines ont tue plus de Cambodgiens que les exactions de Pol Pot. Mais non! Helas!

Je n'avais donc pas tellement envie d'aller au Cambodge, meme si Angkor Wat est un des sites touristiques les plus extraordinaires au monde. La rencontre, dans un hotel de Bangkok, d'un ancien militant du Parti Communiste Canadien, qui denoncait le regime de Pol Pot pendant qu'on faisait campagne pour le defendre, nous du Parti Communiste Ouvrier, ne m'a pas aide a regler mon probleme. Son recit, quelques semaines plus tard, dans une deuxieme rencontre, a Kho Chang cette fois, de la pauvrete et de la misere dans laquelle vivaient les Cambodgiens non plus.

Nous sommes tout de meme alles au Cambodge/Kampuchea. Je n'ai pas definitivement regle mon probleme de conscience, mais je commence a y voir un peu plus clair. Pas assez pour expliquer simplement ce qui s'y est passe apres la deroute des Americains au Vietnam. Une expatriee qui y travaille depuis quelques annees comme medecin sans frontieres nous a donne quelques fils conducteurs que je suis en train d'explorer. Quelques autres d'un documentaire australien (The Bloodiest Domino), visionne a Phnom Penh. Brother Number One, de Chandler itou. Mais c'est loin d'etre clair comme de l'eau de roche. Des idees en vrac suite a notre visite, donc plutot qu'une analyse serree.

J'ai encore en tete le son de la voix du chauffeur de tuk-tuk qui nous a conduits pendant trois jours sur le site de Angkor Wat, le regard fixe au loin: "Je me demande bien pourquoi tant de monde sont venus ici pour nous tuer, pourquoi on s'est tant entre-tue." La citation n'est pas tout a fait exact, mais le ton et le regard laissait comprendre que le mystere autour de toutes ces exactions reste encore.

Autre detail troublant: Sur les murs de la prison S-21, ancien Lycee transforme en prison ou des milliers de personnes ont ete torturees et assassinees, on peut voir les photos des victimes, photographiees comme chez nous pour les fichiers de polices, vue de face et de profil. Les cellules en sont pleines. Il y a aussi des temoignages des victimes qui ont reussi a survivre. Avec leur photo actuelle s'ils s'en sont sortis. Il y a meme des temoignages des gardiens de prison qui sont encore vivants et qui tentent d'expliquer, de faire comprendre ce qu'ils on fait. Assez curieux de voir les deux cote a cote. La medecin sans frontiere nous disait quelque chose qui traduisait le meme desarroi: Pol Pot est mort, plusieurs des autres dirigeants aussi. Mais il en reste plusieurs vivants. Ils vivent au sein de la population, comme si de rien n'etait. Tout le monde les connait, nous dit-elle. Et la vie continue.

S-21 nous est longtemps reste en tete. La remarque du Lonely Planet est tout a fait juste. Ce qui est le plus surprenant c'est que cette prison, en plein milieu d'un quartier residentiel laisse une impression de vie quotidienne, de vie ordinaire. Les buts de footbal transformes en potence sont encore la. Les frangipaniers qui entourent l'ancienne cours d'ecole etaient en fleurs au moment de notre passage. Leur parfum sucre penetrait dans les batiments. On ne pouvait pas ne pas penser aux joies qu'ils devaient procurer aux etudiants, aux professeurs. Ni nous demander ce que les prisonniers pouvaient ressentir en respirant leur odeur agreable a travers leurs supplices. Que la cruaute et la barbarie cohabitent avec la vie quotidienne est inquietant.

La conversion du Lyce/cachot en musee n'a rien de surprenant en soi. Ce qui l'est c'est que c'etait la seule facon d'empecher qu'il ne redevienne tout simplement un lieu ordinaire, habite par des squatters. Il serait devenu bloc appartement!!! Surprenant que l'on puisse penser vivre dans un tel lieu. Autre detail surprenant: le buste de Pol Pot par terre, sur le cote, dans un coin, sans aucune identification ou explication, sans aucune raison apparente. Le visiteur peut se demander de qui il s'agit, mais pas necessairement. Helene ne l'a meme pas remaque en faisant le tour de cette derniere salle de torture. Au Vietnam, les ennemis du peuple etaient denonces partout et sur tous les tons dans les divers musees qu'on a visite. Tellement que ca en devenait lassant a la longue, une veritable langue de bois. Pas ici. Pas de denonciations intempestives. Un expose des faits. Simplement. Ordinairement. Le visiteur est laisse a lui-meme.

Et moi a mon probleme de conscience.

Aucun commentaire: