2004/01/19

"...And our love become a funeral pyre..."

Quelques jours a Varanassi, sur le bord du Gange. Beaucoup d'heures de train pour s'y rendre, mais cela valait vraiment la peine. En planifiant notre voyage, l'ete passe, on avait pense qu'il serait normal de finir notre sejour en Inde sur les bords de ce fleuve sacre, vu qu'on le commencait par ses sources a Haridwar et Rishikesh. On bouclait la boucle en quelque sorte. On n'avait pas prevu qu'on serait un peu fatigue de visiter des lieux saints. Mais on est bien content d'y etre alle parce qu'on a vu une ville indienne differente de tout ce qu'on avait vu a date.

On s'est installé dans la vielle ville, à l'hotel Alka. Les rues y sont interdites aux véhicules automobiles. Il a donc fallu se rendre à l'hotel à pied. On n'aurait jamais pu le trouver sans l'aide d'un guide. Des rues très étroites: deux personnes qui se rencontrent doivent faire attention pour ne pas se frapper! Un véritable labyrinthe, en plus. Le premier soir, vers 19h on décide de se rendre au café internet. Il devait être à trois minutes. On en a pris 30. Perdu dans les dédales de ruelles, ou le betail, dont d'immenses taureaux, circulent et font tout ce que du bétail peut faire. On n'était pas très à l'aise. Surtout quand on est arrivé face à face avec un taureau et qu'on a du lui demander gentiment de se tasser parce qu'il n'y a pas de place pour passer. Hélène nous a négocie cela en grand. Les gens sont gentils et prêts à dépanner les visiteurs égarés. On a l'impression qu'ils ont l'habitude. Ce qui fait qu'on a réussi à se rendre et à revenir sains et saufs. Les pieds crottés, gelés, mais heureux d'avoir une petite idée de ce que devait être la vie au moyen âge.

Premierement il faisait froid, humide, gris et brumeux presque toute la duree de notre sejour. Notre hotel etait situe sur les bords du Gange au Meerghat avec une vue superbe sur tout ce qui se passe sur le bord de l'eau. Sauf qu'on voyait a peine le Gange pour une grande partie de la journee. Le soleil percait un peu la brume sur l'heure du diner. Heureusement qu'on avait une chambre bien propre, fraichement peinte avec un kit de toilette flambant neuf, une chaufferette electrique et de l'eau chaude a volonte. Notre guide nous dit qu'il vient environ 60 000 personnes par jour sur les ghats au bord du Gange pour s'y baigner, faire ses prieres, son lavage. Meme s'il faisait tres froid, des centaines de personnes y faisaient leur toilette, plongeaient de tout leur long sous l'eau, apres avoir chasse les immondices en surface d'un geste rapide des deux mains. Brrrr, dans les deux sens du mot!

C'est une ville sainte ou on vient pour prier, mais aussi pour mourir, de facon a pouvoir facilement faire disperser ses cendres dans la riviere ce qui assure qu'on ne sera pas reincarne. Et c'est la deuxieme raison pour laquelle Varanasi est fascinante: les buchers funeraires. Je crois qu'il y en a plusieurs, un peu partout, le long des ghats. Nous on est alles voir ceux qui sont a quelques minutes de notre hotel. Tres impressionnant.

Les feux brulent 24 heures sur 24. Il y avait 6 buchers, rendus a differentes etapes du processus de cremation. Ce qui fait qu'on peut observer, en quelques minutes, tout le rituel. En arrivant, un ''guide'' nous rappelle qu'il s'agit d'un lieu sacre, et non d'un site touristique. Il nous demande de respecter la douleur de ceux qui sont eprouves par un deces, de ne pas trainer autour des feux, mais plutot de se rendre sur un promontoire a l'arriere d'ou on pourra tout observer et avoir des explications. On s'y rend donc et on observe.

Il y a beaucoup de bruit, beaucoup d'activite. Du betail, un peu partout a travers les cordes de bois. Des dizaines de personnes, des intouchables, qui s'affairent a preparer les buchers, a entretenir les feux, replacer les morceaux de cadavres qui n'ont pas brule comme il faut. On en voit un qui, a l'aide d'un long baton, repousse dans le feu une jambe, toujours rattachee a la hanche, qui etait tombee en dehors du bucher. Certains passent au tamis un immense tas de cendre sur le bord de l'eau. Ils ramassent l'or, l'argent qui aurait fondu des doigts, dents ou poignets des cadavres. Ils me font penser aux chercheurs d'or qui font tourner de la terre dans une assiette avec un peu d'eau, a la recherche de pepites. Les guides nous disent que tout ce qui est trouve est verse aux quelques foyers qui accueillent les mourants indigents qui n'ont pas les moyens de se payer une cremation et qui attendent dans les hospices/mouroirs, tout pres des buchers. D'ailleurs, l'endroit d'ou on observe est justement la veranda d'un de ces mouroirs. Il y a quelques personnes couchees, directement sur le sol, cachees sous des couvertures.(On commence a sentir qu'il ne sera pas long avant qu'on soit a notre tour sollicite pour soutenir cette oeuvre.)

Il y a aussi les parents de le personne decedee. On approche d'abord le cadavre sur le bord de la riviere et chaque membre de la famille verse de l'eau sacree sur le visage du defunt. Le cadavre est enveloppe d'un linceuil, quelquefois de tissus somptueux, selon la caste et le niveau de vie de chacun. Le visage est decouvert. Des qu'il y a un espace de libre dans le secteur reserve a la caste a laquelle appartenait le defunt, un nouveau bucher est fabrique. On y pose le cadavre qui est ensuite recouvert de buches. On y depose aussi ce qui me semblait de l'encens, des huiles. Une personne, le fils habituellement, je crois, fait le tour du bucher cinq fois avec des fagots allumes, symbolisant les cinq elements. (On se demande toujours quel est le 5eme element). Ensuite il met le feu au bucher. Il est alors remplace par les preposes qui s'assurent que le feu est bien pris. La famille est a cote, observe, recueillie. Pendant que les cadavres brulent, la vie continue autour des buchers. Les chiens se promenent, des buffles, attaches autour s'approchent pour se rechauffer, des intouchables qui viennent de prendre leur bain dans le Gange se font secher aupres du feu et font secher leurs bobettes. Le processus dure environ 3 heures. Le bois pour la combustion est vendu au kilo. Une grosse balance a plateaux permet de peser les buches avant de mettre le feu. Ce qui n'est pas brule est jete dans le Gange avec les cendres. Les cadavres des femmes enceintes et des lepreux (peut-etre des bebes aussi) sont jetes directement dans le Gange sans cremation. On a vu un bateau partir avec un cadavre et le jeter dans le Gange.

Apres 15 minutes on s'est retire pour aller prendre une marche. On a beau ne pas etre touche directement par la mort de ces personnes, on a beau se dire qu'apres la mort, le cadavre, ce ''je ne sais quoi qui n'a de nom en aucune langue'', comme disait Bossuet, n'est justement pas vraiment une personne, on ne peut faire autrement qu'etre ému par une telle scene.

C'est bête, mais la ''toune'' des Doors (Light my fire) me trotte dans la tête depuis. J'ai toujours trouvé que c'était un des plus beaux vers de la poésie pop des années 70. Maintenant quand elle me vient à l'esprit, j'ai un petit pincement que je n'avais pas avant.

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